CUISINNIÈRE-MOLÉCULES

Par Hervé This

Ces damiers bi et tridimensionnels sont, je l’espère, parmi les premiers plats d’une nouvelle génération: celle des plats de la tendance culinaire que j’ai nommée «constructivisme culinaire». L’idée essentielle est que la construction d’un plat détermine son goût.
Il y a une certaine évidence, dans cette affaire, quand on considère un plat qui serait composé de deux couches, que nous nommeront A et B. Imaginons que la couche A soit dessous et la couche B dessus. Si nous plaçons la bouchée en bouche, sur la langue, les molécules odorantes de la couche B seront libérées dans l’air de la bouche et elles pourront remonter par les «fosses rétronasales», des conduits à l’arrière de la bouche, vers le nez. On sentira donc l’odeur de la couche B.
En revanche, les molécules odorantes de la couche A ne seront pas perçues, puisque ces molécules seront bloquées par la salive. Au contraire, ce seront les molécules sapides de la couche A que l’on sentira, parce que ces molécules sont solubles dans l’eau: elles se dissoudront dans la salive et atteindront les papilles gustatives de la langue.

Imaginons maintenant que nous mangions la bouchée, mais avec la couche B en bas et la couche A en haut. Nous percevrons la saveur de la couche B et l’odeur de la couche A. Ce sera donc très différent.
Bref, l’idée qu’il faut conserver, dans le constructivisme, c’est que nous pouvons construire les mets, en vue de donner des sensations différentes.
Un avantage supplémentaire: si nos convives voient la construction ou la perçoivent, ils seront heureux, parce qu’ils penseront –avec raison- que nous les aimons. Ne construisons-nous pas spécifiquement pour eux?

En principe
En pratique
Damier bidimensionnel

Un damier, c’est une alternance de carrés noirs et  de carrés blancs, dans les deux directions de l’espace. En cuisine? Il suffit d’alterner deux éléments de nature différente.
On peut imaginer des damiers de texture, de goût, de ce que l’on veut qui ait un sens culinaire.

Ici, c’est l’apparence visuelle, surtout, qui y trouve son compte.

Tailler des bâtonnets de blanc de seiche. Les tremper dans une poudre de curry et les aligner dans un film plastique transparent. Bien serrer le film et cuire au four vapeur, afin que les bâtonnets se soudent.  Puis mettre au froid. Pour servir, couper des tranches perpendiculaires aux fibres.

On peut aussi alterner des bâtonnets de deux sortes: carottes et poisson, par exemple.

Damier tridimensionnel

Ces damiers sont bien plus importants que les précédents, parce qu’ils engendrent une sensation gustative tout à fait inédite.

Il s’agit de produire un damier à trois dimensions, par une alternance de deux éléments (ou plus si l’on veut) dans les trois directions de l’espace.
La consistance obtenue ainsi n’a aucun équivalent connu, parce que, si la taille des cubes est bien choisie, les dents seront « déséquilibrées », reposant à la fois sur du dur et sur du mou ; puis, quand les cubes durs céderont, les dents reposeront alors sur d’autres carrés durs et mous, mais opposés. Et il y aura ainsi une série de déséquilibres alternés.

Sensation assurée.

Dans des boites parallélépipédiques, disposez trois bâtonnets de blanc de seiche ou de poisson, parallèlement, en laissant un intervalle d’une largeur de bâtonnet entre les bâtonnets.
Coulez de la bisque de homard additionnée de gélatine. Laisser prendre.
Par-dessus, déposez une couche analogue à la première, mais tournée de 90˚.
Répétez encore deux fois.
Démoulez.A servir avec une mayonnaise cuite quelques secondes au four à micro-ondes.

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